Les rêves les plus longs, les plus cohérents et les plus impressionnants sont rêvés par une personne juste avant son réveil. Un rêve peut durer plusieurs secondes, mais laisse subjectivement une sensation de quelques heures, mouvementée. Le monde des rêves est exactement l’espace où le compte à rebours se déroule sur l’horloge douce de Salvador Dali; et ils indiquent toujours, selon le maître, l’heure exacte.
Les tigres descendus de l’affiche du cirque s’envolent vers l’avant. Les griffes sont relâchées, les bouches sont ouvertes, les crocs redoutables sont dénudés dans un paroxysme de rage. Un tigre émerge de la bouche d’un autre. Cela, à son tour, saute de la bouche d’un énorme poisson, et elle émerge d’une grenade géante avec une pelure déchirée. Deux graines de grenade brillent de gouttes de sang au-dessus de la surface endormie de la mer. Pour le spectateur, cette enfilade d’images rappellera inévitablement une poupée-matriochka – ou la mort de Kashcheyev, cachée dans des caches imbriquées.
L’espace à l’horizon est rempli d’une mer calme et sereine. C’est la question du sommeil: ce même Inconscient d’où naissent, comme des eaux intra-utérines, des images et des intrigues. Au loin, presque à l’horizon, une île rocheuse jaillit de l’eau, et les falaises de grès jaunissent au bord de la toile, sans lesquelles Dali ne pourrait imaginer le paysage marin. Ces pierres, finement coupées par les vagues et les vents catalans impitoyables, ont inspiré l’artiste à créer des images doubles et des illusions trompeuses lorsqu’une image se jette dans une autre – tout comme les fissures dans la pierre sont ajoutées à de nouvelles et nouvelles peintures.
En arrière-plan, juste en face de l’eau, un éléphant arpente les pattes d’araignée. Lui, comme la célèbre sculpture de la place romaine de Minerve, l’éléphant du Bernin, porte sur son dos un cristal d’obélisque. Ses jambes paradoxalement minces émerveilleront le spectateur éveillé, mais tout est possible en rêve. Y compris combiner l’incompatible et défier les lois de la gravité. Gala se dispute également avec gravité, un corps nu planant au-dessus d’une dalle de pierre. Sa tête est rejetée en arrière, ses mains sont derrière sa tête, une jambe est pliée. Elle ressemble à une allégorie du sommeil paisible, en harmonie avec le paysage marin serein. Le contraste entre la statique du corps féminin et la dynamique des images agressives violentes est plus frappant. Cette dissonance est encore renforcée par un fusil avec une baïonnette attachée, qui a gelé en millimètres de la peau d’un Gala endormi.
À côté d’elle, minuscule sur fond d’images générées par le subconscient, le fruit de la grenade plane. Contrairement à une grenade géante hors du sommeil, il est réel. Une abeille s’enroule autour de lui. Ce n’est pas un hasard si les grenades et les abeilles sont tombées dans ce royaume endormi. Ils ont servi de catalyseur à toute cette fête des rêves. Une abeille bourdonnante a donné naissance à une chaîne de peintures inquiétantes dans la tête d’une femme endormie. Une piqûre avec une baïonnette était la conclusion logique de l’intrigue de rêve, remplaçant une piqûre d’abeille dans cette réalité. Un peu à distance, une paire de coquillages flottait au-dessus de la pierre – des formes mathématiquement parfaites, que Dali admirait tant. Ils ressemblent à une touche minuscule mais intégrale qui complète l’image d’un rêve parfait. Et tout ce triomphe de l’inconscient béni par la doctrine de Freud est éclipsé par la lune paralysée, le monde lumineux fantomatique des rêves.