Malgré toute l’étendue de ses intérêts artistiques, Repin était encore principalement un portraitiste. Grand connaisseur des gens et psychologue, il a pu voir dans ses œuvres l’essence d’un caractère humain individuel, révélant en même temps dans l’image créée par lui les traits typiques de toute la couche sociale, lui permettant de voir les signes de l’époque dans la caractérisation d’une personne individuelle.
Déjà au seuil du 20e siècle, Repin a créé un magnifique portrait de groupe grandiose sur toile, unique en son genre, “Réunion du Conseil d’État”, peint par ordre officiel du gouvernement. La tâche devant l’artiste était très difficile. Il a fallu représenter sur toile plus de 80 dignitaires qui étaient présents à la réunion d’anniversaire, tout en respectant l’ordre strict dans l’arrangement de chacun de ses participants.
Repin a brillamment fait face à toutes les difficultés de solution compositionnelle et picturale de l’image, en évitant les fausses poses. Au contraire, l’image laisse une impression d’une dénonciation impartiale et nette de la véritable essence de l’élite dirigeante de la Russie pré-révolutionnaire. En train de travailler sur la peinture, Repin a peint des croquis-portraits de ses personnages. Réalisés de manière libre et large, le plus souvent en une à deux séances, ces croquis sont l’une des plus grandes réalisations du travail de Repin.
Le portrait de Pobedonostsev est l’un des meilleurs d’entre eux. Parmi les hauts dignitaires de l’autocratie, Pobedonostsev était l’une des figures les plus terribles. Réactionnaire convaincu, étrangleur impitoyable de tout germe de liberté, il personnifiait tout l’obscurantisme de son temps. Extérieurement correct, retenu, sèchement poli, il était, pour ainsi dire, dépourvu de sentiments humains naturels. Repin l’a donc présenté dans son portrait.
Les nuances de couleurs les plus subtiles, à peine perceptibles, libres, comme si elles étaient même négligentes, mais en réalité subordonnées à des traits de dessin ajustés avec précision, capturaient ou plutôt révélaient un sourire aux lèvres sèches et étrangères, un regard froid des yeux mi-clos pendant des siècles, toute l’apparence hypocrite d’une personne incapable de vivre le mouvement mental vide et impitoyable. Ce portrait, peint d’une manière si inhabituelle pour Repin, mais si naturel ici, est l’une des œuvres les plus puissantes et artistiques parfaites de Repin, complétant l’âge d’or de l’artiste.